Aux armes zécolos

Article paru dans La Lettre de Dialogues du mois de Juin 2010.

Mon manque de sympathie à l’égard des dérives de l’agriculture intensive ne date pas d’hier. Je l’ai déjà exprimé à plusieurs reprises, dans des chroniques données au Télégramme, dans des romans comme Que ma terre demeure et dans des textes plus polémiques publiés par la revue de l’association Eau & Rivières de Bretagne, comme cette « Horreur scatologique » où, soupesant la masse des déjections porcines, j’aboutis à la conclusion qu’élever 14 millions de porcs en Bretagne équivaut à recevoir tous les jours, sur 8% du territoire, le pipi-caca de la France entière…
Mes origines sont rurales, j’habite la campagne et je suis pêcheur à la mouche. Or, je crois que les pêcheurs à la ligne sont les premières sentinelles de l’écologie. En Irlande, par exemple, les pêcheurs ont été les premiers à observer la disparition des truites de mer dans des estuaires pollués par les élevages de saumons. En Bretagne, j’ai vu, à partir de la fin des années 60, abattre les talus pour remembrer. J’ai vu rectifier des ruisseaux à la pelleteuse. J’ai vu drainer et assécher des prairies. J’ai vu les choux et les betteraves être remplacés par le maïs après la moisson duquel la terre est nue comme une cour cimentée. Plus une mauvaise herbe, plus un insecte… Les conséquences de ces traitements étaient annoncées. Eau & Rivières de Bretagne prévoyait déjà, dans les années 80, les taux de nitrates et de pesticides constatés aujourd’hui. Peu importait, il fallait produire et fermer les yeux, pour les entrouvrir trop tard, quand les algues vertes envahissent nos estuaires et qu’on se demande, en mangeant nos cinq légumes et fruits par jour, si l’on n’avale pas plus de pesticides que de vitamines.
J’ai connu l’âge d’or de la pêche à la mouche. Il y a encore une vingtaine d’années, au-dessus de mes rivières de Cornouaille, je voyais des myriades d’insectes spécifiques, que les truites gobaient le soir… Aujourd’hui, les insectes et les truites se font très rares. J’avoue que la fréquentation des rivières m’attriste. Je songe au paradis perdu. J’ai le spleen du pêcheur à la ligne…
Haut-le-cœur, haut les cœurs ! Pour combattre la mélancolie, cette fois j’ai choisi l’humour, en opposant ce bon mot de Beaumarchais : « Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer » à cette profession de foi des pêcheurs écolos : quand le poisson meurt, l’homme est menacé.
Au cœur des monts d’Arrée, un grand-père qui déprime et menace de se pendre parce qu’il n’y a plus de poisson à pêcher, sa petite-fille, narratrice sacrément délurée et drôlement observatrice qui pour le sauver organise une opération commando, un saumon au comportement bizarroïde, puis un miracle…
Aux armes zécolos est une fable (verte), et chacun sait que les fables ont une morale à méditer.